Article publié dans l'Orient-Le Jour concernant le Colloque qui a eu lieu le 3 décembre 2009. Un colloque sur la femme et la religion à Paris au Sénat à l’heure
des grands débats
Par Carole DAGHER | mardi, décembre 8,
2009
Les questions sont brûlantes d'actualité :
comment restreindre la pratique religieuse à la sphère privée et éviter que la
liberté de religion ne trouble l'ordre public, surtout dans un pays comme
la France où le principe de laïcité est le socle fondateur de la République ?
Quel est le rôle de la femme dans l'éducation à la citoyenneté, comment
peut-elle contribuer à moderniser les codes de la famille (mariage,
successions...), en particulier dans les pays du sud de la Méditerranée ?
Dans quelle mesure les femmes peuvent-elles être des agents de modernité au sein
des communautés immigrées en France, comme au sein de leurs sociétés respectives
dans leurs pays d'origine ? Des
interrogations essentielles auxquelles se sont appliqués à répondre les
intervenants au colloque « Dialogue interreligieux et société, quel
rôle pour la femme ? », organisé au Sénat par la dynamique présidente
de l'ADICR (Association du Dialogue InterCulturel et Inter-Religieux),
Samar Sassine, en partenariat avec le groupe interparlementaire
d'amitié France-Liban, présidé par le sénateur Adrien Gouteyron. Alors que « l'affaire des minarets » semble faire boule
de neige en France, après la Suisse, et que le débat sur l'identité nationale
bat son plein, sous l'impulsion du gouvernement français, ce colloque tombe à
point. En effet, la transformation de la société européenne, en général, et
française, en particulier, induite par la présence de plus en plus forte et
active de communautés issues de l'immigration, qui revendiquent leur
appartenance religieuse et l'affirmation de la place de l'islam dans la vie
publique, cette transformation entraîne une nouvelle réflexion sur la laïcité en
France et sur la place du religieux dans la sphère publique. Après
l'allocution d'ouverture de M. Gouteyron, qui a souligné combien il était
nécessaire de multiplier ce genre d'échanges « si nous voulons créer un
espace méditerranéen cohérent où la confiance et le dialogue remplacent la
méfiance et la violence », trois tables rondes se sont tenues
successivement, en présence notamment de l'ambassadrice du Liban auprès de
l'Unesco, Mme Sylvie Fadlallah, et de l'ancien ministre Pierre Joxe.
Femmes et citoyenneté
Les travaux de la première
session, animés par Nassif Hitti, ambassadeur de la Ligue arabe à Paris, se sont
ouverts sur un message de soutien de Mme Irina Bokova, directrice générale de
l'Unesco, lu par Mme Sassine, dans lequel Mme Bokova annonçait que 2010 serait
l'année internationale du rapprochement des cultures, dans le but de promouvoir
la tolérance et la réconciliation. Elle devait mettre l'accent sur l'égalité des
sexes, condition sine qua non pour le développement, et sur l'importance de
lutter contre l'illettrisme qui affecte particulièrement les femmes à travers le
monde. La question de l'inégalité hommes-femmes devait d'ailleurs figurer
pour une grande part dans les interventions des participants au panel, en
particulier de Mme Mona Safadi, présidente de la Fondation Safadi, venue
spécialement du Liban pour participer au colloque. Soulignant que le combat de
la femme pour l'accès à une pleine citoyenneté est rendu difficile dans un
système où les communautés religieuses ont une mainmise sur le statut personnel,
et où la femme est encore victime de nombreuses inégalités (en matière
successorale, dans la transmission de la nationalité de la mère aux enfants, les
crimes d'honneur, etc), Mme Safadi devait rendre hommage au rôle des
associations des droits de la femme au Liban, et mettre en relief quelques
avancées récentes dans le redressement de certaines inégalités, comme la récente
élection d'une femme à la tête de l'ordre des avocats. À sa suite, Mr Alain
Barreau, directeur du Bureau d'information de la France au Parlement européen, a
déclaré que « la question de l'inégalité hommes-femmes n'est pas terminée
en Europe même », malgré la stratégie des quotas et de la parité, et que la
crise économique révèle davantage ces disparités, notamment en ce qui concerne
l'emploi, les femmes étant davantage touchées que les hommes par le chômage. Il
a souligné l'importance des échanges interparlementaires et intergouvernementaux
pour faire avancer la cause de la femme et appliquer les directives
européennes. Enfin, Mme Élisabeth Tomé, répercutant le message de Xavier
Darcos, ministre du Travail et de la Famille, devait annoncer qu'une Fondation
des femmes pour la Méditerranée verra le jour en 2010, afin d'aider les femmes à
mettre en œuvre et financer des projets et les inciter à jouer un plus grand
rôle, car « l'ouverture aux femmes et leur participation en dit plus long
sur l'évolution d'une société que bien des indicateurs
économiques ».
Codes de la famille et
laïcité
Animée par Nathalie Pilhes, responsable Femmes au sein de
l'Union pour la Méditerranée à la présidence de la République, la deuxième table
ronde regroupait la sénatrice Christiane Kammermann, représentant les Français
établis hors de France, le professeur Salim Jahel (Paris II), Mme Aïcha
Ansar-Rachidi, avocate, et Mme Asma Guénifi, militante associative, qui ont
respectivement traité de la question délicate de l'évolution du droit de la
famille en France, dans l'islam, au Maroc et en Algérie. Soulignant la mutation
progressive du droit vers une plus grande égalité des femmes en France, Mme
Kammermann a relevé que la politique du gouvernement a pour objectif de
« faire coïncider égalité de droit et égalité réelle », la réalité
étant bien souvent éloignée de la parité souhaitée, notamment en matière
économique. Et de relever aussi la violence faite aux femmes dans les pays qui
se distinguent par une société patriarcale déniant les droits des femmes.
Mme Kammermann, qui connaît bien le Liban, n'a pas manqué de saluer au
passage « la grande originalité » du système libanais, où les groupes
religieux forment l'État. « Le Liban est un creuset du dialogue
interculturel et un symbole de participation », a-t-elle encore dit, tout
en relevant le fait que « le confessionnalisme y reste une valeur
refuge ». Et de conclure : « Je suis persuadée que quand le Liban
sera laïc, il n'y aura plus de guerre. »
Pratique
religieuse : sphère publique ou privée ?
Animée par Carole
Dagher, journaliste et écrivain, la dernière séance fut consacrée à l'impact de
la religion sur la société, au rapport entre identité religieuse et laïcité et à
l'importance du dialogue interreligieux dans le développement de la tolérance et
des droits de la femme. Après un riche exposé historique sur les guerres de
religion en Europe, Blandine Kriegel, philosophe et ancienne présidente du Haut
Conseil à l'immigration, a estimé qu'il appartient à chaque société et à chaque
peuple d'inventer son modèle d'évolution, et de redéfinir le rapport du
religieux et du politique. Les femmes étant naturellement enclines à la
tolérance, le lien entre le dialogue des religions et les droits de la femme
sont manifestes. Alain Wallon, au nom de Laurence de Richemont,
représentante de la Commission européenne en France, a expliqué comment l'Union
européenne a mis en place une commission chargée du dialogue avec les
institutions religieuses, culturelles et scientifiques, afin de mieux prendre en
compte la réalité de la diversité religieuse et culturelle européenne.
Malika Benarab Attou devait apporter un témoignage personnel sur son
parcours d'Algérie où elle est née, à la France, où elle est devenue députée au
Parlement européen, et Line Pierné a exposé les objectifs de la fondation
Fédération femmes 3 000 qu'elle préside. Enfin Bariza Khiari, sénatrice de
Paris, a élaboré sur la distinction sphère publique-sphère privée, estimant que
« l'avenir de l'image de l'islam de France se joue dans le débat
actuel ». Elle a notamment invité à concilier foi et raison, et estimé que
« la loi doit protéger la foi aussi longtemps que la foi ne prétend pas
dire la loi ». Ce qui, en définitive, revient à adhérer à une conception
laïque de l'organisation de la société, car « la laïcité transcende nos
appartenances religieuses ». « Mettons en avant ce qui rassemble les
religions abrahamiques, non ce qui les divise », devait-elle
conclure. Le mot de la fin devait revenir à Jacques Attali, écrivain et
économiste. Il a noté que « les débats sur la laïcité et le statut de la
femme sont liés », et a relevé une tendance mondiale marquée par une
régression identitaire religieuse et un repli sur la sphère privée pour se
protéger contre les dangers du monde. Estimant que « la religion est
l'ultime moyen des hommes pour tenter de récupérer un pouvoir perdu sur les
femmes », il a souligné qu'il « appartient aux femmes d'affirmer que
la laïcité est un instrument de leur liberté et de réinventer la religion
autrement ». « La laïcité ne sera totale que lorsque le pouvoir
féminin se sera exprimé dans la société », a-t-il affirmé. Les
applaudissements qui ont suivi indiquèrent qu'il avait résumé, en une phrase,
les aspirations exprimées par les différentes intervenantes au colloque. Un
déjeuner donné par Mr Gouteyron devait enfin réunir les personnes présentes,
ainsi que l'ambassadeur du Liban, M. Boutros Assaker, et le président de l'IMA
(Institut du monde arabe), Dominique Baudis, dans les salons du
Sénat.
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